mardi 31 mars 2009

Propalisation multi-chiffrage

C'est avec un grand soulagement que j'ai posé ce matin ma sacoche sur une des paillasses de l'open space du 4e. Elle est de plus en plus lourde, et ça me détruit le dos. J'ai deux portables, un donné par le client, le seul que je peux brancher sur le réseau client, car pas confiance, et un autre, le seul que je peux brancher sur le réseau de ma firme, car pas confiance encore moins.

Dans le temps des anciens forçats, on remplissait leurs sacs avec des cailloux. Les forçats modernes traînent des sacs remplis d'ordinateurs portables dans le métro. Ce qui a changé, c'est la cravate, qui ajoute par la strangulation un peu de raffinement au supplice.

Ce matin très tôt, conf call avec Jacques Ducruet, Manualo Gonzalo, le bras droit de Jacques, et les escrocs du bureau de Buenos Aires, qui veulent nous enfiler des jours supplémentaires sur le déploiement de la solution Core AXEFI (Accelerated Finance) du groupe Comafro (un équipementier électro-ménager).
Jacques explique, en revoyant les chiffres envoyés par les Argentins :
- Alors tu vois, Edouard, ça, c'est de la merde. On devrait virer ces gens-là. C'est juste impossible de travailler avec eux, ils vivent sur le dos de ceux qui font du vrai boulot.
A l'idée que quelqu'un puisse se faire virer, que peut-être ce pu être moi, je lève vers lui des yeux plein d'espoir.
- Ben, dis-je, ce sont visiblement des gens qui ont cessé de croire en la Firme.
Jacques ne relève pas les appels de phare dans mes yeux.
- Non, c'est juste des cons, il faudrait les sortir, et je t'assure que si je pouvais, je ne m'en priverais pas. Ce sont des gens qui bouffent nos primes de fin d'année, nos bonus, les dividendes, ce sont des parasites à exterminer.
- Oui, ou alors ce sont tout simplement des gens qui ne sont plus en accord avec l'esprit de la Firme. C'est comme dans un ménage, au début on s'entend bien, et à un moment, on devient différent, et il faut se séparer, pas besoin de se disputer, c'est la vie. La faute de personne si on a cessé de s'aimer.
Jacques marque un temps, pour me faire comprendre que je suis hors-sujet.
- Non, c'est des connards, un matin on leur dit de prendre leur sac et leur trousse à crayons, et on les fait raccompagner par la sécu. Bon, assez perdu de temps. Si d'ici demain, j'ai pas un plan projet propre et complet, on va faire simple : je le fais moi-même, mais je vous préviens, ça se paiera.
- Non, sans problème, je le fais comme t'as dit, je vais tout imposer aux Argentins, expliquai-je, faisant un peu plus retomber le linceul sur notre entente cordiale avec les sud-américains.


Mon PC sous le bras, je passe devant le closed-space (genre de vivarium vitré où l'on peut s'isoler mais pas se cacher, et qu'il faut réserver longtemps à l'avance) de Javier Schperello, un manager confirmé (un ManCon, ou MC, dans notre jargon) du bureau de Berlin, qui n'a pas pu retourner travailler dans sa ville d'origine depuis plus maintenant plus de 6 ans ; son transfert au bureau de Paris étant bloqué par son bureau de rattachement, et son bureau de rattachement n'ayant pas réussi à obtenir son extradition.
Je sais que Javier traverse une mauvaise passe, qu'il gère plusieurs propales à la fois, qu'il a terminé 4 fois cette semaine à 3 heures du matin, retour au boulot à 8 heure, hop, hop, hop.
Javier est décoiffé, mal rasé, torse nu mais il a gardé sa cravate. Il porte toujours un bas de costume mais il est pieds nus. M'apercevant, il sort, m'empoigne par le col, me secoue, et m'explique en postillonnant et en haussant le ton que la cravate, c'est business, que torse-poil, c'est casual, qu'il est business-casual aujourd'hui et qu'il m'emmerde.
Passe Frank Dunant, dit le Velociraptor, rapport à ce qu'il court vite, qu'il a des petits bras et une grande gueule.
Frank est Senior Directeur niveau 2, un des sommets dans l'échelle du pognon au sein de la firme. Il regarde la scène avec un air sévère.
Je libère mon col des mains de Javier et je prend la tangente, en expliquant rapidement qu'il faut que j'aille préparer mon plan projet.
- Javier, demande Velociraptor, ça ne va pas ?
Javier se met à danser devant Frank Dunant, en chantant "I was born for loving you baby" des Kiss.
- Javier, je te propose de prendre un peu de repos aujourd'hui.
- Alors, en 3 points, répond Javier, je t'emmerde, je t'emmerde et... je t'emmerde.
J'entends, en m'éloignant précipitamment, que Javier demande une petite gâterie à Frank ; mais sur un ton d'être sûr de ne pas l'obtenir.

Un peu plus tard ce matin le sang s'est glacé dans mes veines en voyant Frank Dunant s'approcher de moi.
- Edouard, me demande-t-il, tu savais que Javier n'allait pas bien ?
J'explique que je le connais mal, que j'ai eu quelques bons échanges avec lui, mais sans plus, et qu'en tout cas, jamais je n'aurais pensé qu'il pu être aussi fragile.
- J'espère, Edouard ; vois-tu, dans la firme, il est essentiel de prendre soin les uns des autres. Il faut être développeur de gens.
Frank s'éloigne sans attendre ma réponse, je parviens à bafouiller qu'il peut compter sur mon engagement dans cette voie, en accord avec une vérité fondatrice qui, etc...

lundi 30 mars 2009

La vraie vie


Accélérateur de particules

Mon pass Navigo, pourtant chargé à l'avance, ne passait pas ce matin ; j'ai donc fait la queue au guichet comme le commun des imprévoyants.

Une fois sur le quai, les portes du métro automatique se sont refermées devant moi, j'ai essayé de les retenir, mais c'est impossible, contrairement aux portes des métros avec chauffeur.

Donc, ruminant ma déconfiture, Antony et ses Johnsons pleurant dans mes écouteurs bluetooth à propos de la disparition des abeilles et de tout ce qui grandit à la campagne, j'ai pu méditer sur mon sort devant les portes vitrées de la ligne 14.

J'ai repensé à ce que disait le commercial d'une SSII dans un roman de Houellebecq : « J’ai l’impression d’être une cuisse de poulet sous cellophane dans un rayon de supermarché ». Mais la cuisse de poulet, elle n'a qu'à se laisser porter ; moi il me faut courir.

La programmation du métro automatique est d'une logique imparable : on ne doit pas pouvoir le retenir pour le bien seul d'un individu. Un accélérateur de particules accélère un groupe de particules, si l'une d'elle reste en rade, il ne peut pas revenir en arrière.

Et donc en tant que particule élémentaire, il a bien fallu que j'attende la rame suivante pour être accéléré.

samedi 28 mars 2009

Leadership training - highly addictive bullshit

Retour sur la formation Manager Confirmé, subie la semaine dernière.

Cette formation a lieu dans un cadre enjôleur, un petit pavillon lacustre du début du XIXe, au milieu du bois de Boulogne, où sont usuellement hébergées les conventions diverses de mon entreprise.

En chemin, sur une route moins fréquentée qui conduit au petit pavillon, j'ai pu voir sortir du sous-bois, comme portée par la rosée matinale, une créature d'un genre exagéré quoique coloré, quasi exotique, très à l'aise en talons aiguilles malgré l'épais tapis de feuilles mortes. De visage, elle n'était pas sans rappeler Eglantine Morugeon, dite "Titine la Morue", la chef de projet lamentable d'une entreprise concurrente que j'ai subie suite à un mauvais concours de circonstances.

Du coup je me suis demandé si la crise économique serait un des thèmes sous-jacents de la formation.

Eh bien oui, et même la formation (en anglais) s'est ouverte sur une bonne blague, le fameux "When you look at banks Balance Sheets nowadays, on the left, there is nothing right, on the right, there is nothing left". Ce qui est drôle, parce que ça veut dire que les actifs sont pourris, quoi, et que le cash est est parti aux chiottes, hi, hi, hi, blague de comptable.

J'avoue avoir eu quelques absences. J'ai été réveillé par les coups de coudes répétés de mon voisin de table, Bertrand Pou. A l'écran on pouvait lire : "Bring your soul, bring your heart at work".
- Et tes couilles aussi, pour mettre sur la table, m'a expliqué Bertrand avec un clin d'oeil.

vendredi 27 mars 2009

Sidération et pleinitude système

Ce matin 10h00 entretien avec le CIO du groupe Locameca Ltd ; prospect pour l'intégration d'un nouveau système front office de gestion du mécontentement client.

Quelques minutes avant l'entretien mon épouse m'appelle suite à l'état dans lequel j'ai laissé la cuisine ce matin ; je sors sur le palier de la tour à la Défense où est installé le prospect.

Le coup de téléphone étant arrivé à une conclusion quelconque, je souhaite à nouveau intégrer les locaux du client ; mais hélas l'hôtesse est partie en pause et ne peut m'ouvrir.

10h45, l'hôtesse est de retour, j'arrive à temps pour que Jacques Ducruet, qui vient de conclure l'entretien avec le CIO, me présente et m'entraîne vers la sortie en me prenant par l'épaule.
- Une urgence, parviens-je à bafouiller...
- De toute façon on a pas abordé ta partie, me console Manuelo Gonzalo, le bras droit de Jacques.

C'est bien dommage, j'aurais aimé avoir eu quelque chose à dire sur les main-frames de front office CRM.